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Banques et opérateurs télécoms, des synergies à développer dans les pays en développement


Avec un taux de souscription de 102,8 % dans les pays en développement, l’utilisation du téléphone mobile s’est largement démocratisée. En revanche, les services bancaires peinent encore à se développer dans des territoires plutôt hostiles aux banques.

Le faible développement des services bancaires peut être dû à des facteurs liés à la demande (manque de compétences, d’attitudes, de comportements et de connaissances en matière de finance) ou à des facteurs liés à l’offre (obstacles à l’entrée liés au développement d’un réseau peu dense). Sauf pour ce qui est des solutions de paiements mobiles. Par exemple, le service M-Pesa, lancé en 2007 par le principal opérateur de téléphonie mobile au Kenya, Safaricom, compte aujourd’hui 30 millions d’utilisateurs affiliés dans 10 pays différents.

C’est d’ailleurs la sous-bancarisation qui explique en partie le succès des services de paiement mobile dans les pays en développement. Ces services offrent en effet la possibilité de s’intégrer financièrement aux populations longtemps oubliées par des canaux bancaires difficilement accessibles à des personnes qui manquent de ressources pour devenir clientes. Sans oublier que les points de contact peuvent être éloignés géographiquement.

Offre trop restreinte

Les opérateurs téléphoniques déjà implantés localement permettent justement à ces agents non bancarisés d’accéder aux services de paiement mobile sur la base d’une innovation frugale (innovation qui permet de répondre le plus simplement possible à un besoin en mobilisant le minimum de ressources). Les acteurs mobiles ont l’avantage de maîtriser les infrastructures (réseaux et carte SIM) et peuvent ainsi capter les adoptants précoces.

Une agence M-Pesa à Nairobi au Kenya.
Flickr/Fiona Graham — WorldRemit

Les premières solutions de paiement mobile sont apparues au milieu des années 2000, notamment au Kenya avec le service M-Pesa. Les utilisateurs peuvent faire des dépôts et retirer de l’argent à partir d’un réseau d’agents certifiés, transférer de l’argent ou payer des factures. Le système est basé sur de nombreux agents certifiés qui font la conversion du code en espèces et réciproquement, à la demande des utilisateurs. Le succès de ces services s’explique par la conjonction de plusieurs facteurs : les transferts sont rapides, simples et hautement sécurisés.

Cependant, cette offre ne peut contenter entièrement la population car, trop restreinte, elle se limite à des fonctions transactionnelles ou de paiement de facture. Or, la population qui n’a pas accès aux banques pourrait être intéressée solution d’épargne ou de crédit leur faisant défaut. Le taux d’épargne en Afrique en 2014 est de 20 %, taux supérieur à celui européen. Pour ce faire, les banques ont donc intérêt à s’associer avec les opérateurs pour proposer des services plus élaborés.

Répondre aux besoins de financement

Les services proposés par un opérateur seul ne permettent pas encore d’accéder à ces offres bancaires plus évoluées. Les banques ont donc d’autant plus une carte à jouer que les habitants des pays les plus pauvres ont aussi des besoins de financement.

Depuis quelques années, la microfinance peut constituer une solution à ces lacunes, même si elle comporte certaines limites. Ce système d’octroi de prêts de montants réduits, mis au point par Muhammad Yunus, fondateur bangladais de la Grameen Bank, apporte notamment des impacts positifs sur le bien-être des contractants en aidant à lutter contre les dégâts de la pauvreté : amélioration de l’alimentation, aide dans la création d’une entreprise, meilleur traitement des maladies, etc.

En ce qui concernent plus spécifiquement les femmes, qui sont les plus touchées par l’exclusion financière (en 2018, 67 % des femmes possèdent un compte bancaire – un écart de 9 points de pourcentage avec les hommes) les microcrédits peuvent par ailleurs constituer une voie vers leur émancipation en leur donnant un pouvoir de décision, une liberté d’action et davantage de confiance en soi.

Dans les pays en développement, deux tiers des adultes ne possédant pas de compte bancaire sont des femmes.
i_am_zews/Shutterstock

Les enfants bénéficient aussi indirectement des services de microfinance accordés au sein du foyer. D’après certaines études, lorsque le revenu augmente suite à l’acquisition d’un prêt permettant de faire fructifier la microentreprise familiale, l’éducation devient en effet une priorité pour la famille. Les enfants sont ainsi plus facilement éduqués et scolarisés.

Bénéfices mutuels

L’importance d’une offre plus évoluée est donc multiple. Pour les populations, comme on l’a vu, mais aussi pour les banques. Si les établissements investissent le paiement mobile, ils vont pouvoir, à travers ce mode de paiement, s’implanter dans des zones faiblement bancarisées et proposer des produits financiers plus élaborés (épargne, crédit) à ces populations. M-Pesa au Kenya s’est d’ailleurs développé dans ce sens, en agrandissant son partenariat avec la banque locale Equity Bank via la création conjointe de M-Kesho.

Cet exemple illustre bien l’intérêt pour les banques de se rapprocher d’un opérateur téléphonique. C’est ce qui va leur permettre de capter un grand nombre d’utilisateurs réguliers du paiement mobile, qui constitue un produit d’appel attractif pour atteindre une nouvelle clientèle.

Pour ce qui est des opérateurs télécoms, la collaboration avec la banque ne permettra certes pas d’augmenter le nombre d’utilisateurs, puisque les populations sont déjà bien équipées, mais de complexifier l’offre de service. Il s’agit donc d’une opportunité pour l’opérateur qui vise une position dominante sur le marché, avec un pouvoir de négociation renforcé. Nul doute que le rapprochement entre monde bancaire et secteur des télécoms devrait donc se développer à l’avenir, tant les synergies peuvent être fructueuses.



Laetitia Chaix, Chercheur en économie numérique, économie du développement, International University of Monaco

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

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